24 octobre 2012

Effets anticholinergiques et Alzheimer

Tiré de Profession Santé

Question : Nos patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont quelques fois à recevoir des inhibiteurs de la cholinestérase (p. ex., l’Aricept, l’Exelon ou le Reminyl). On sait que chez ces patients, il faut faire très attention à la charge anticholinergique et éviter le plus possible les médicaments avec effets anticholinergiques marqués ou modérés. Lorsque nos patients atteints d’Alzheimer doivent recevoir un antidépresseur, le choix de la molécule peut donc être important puisque certaines molécules ont un effet anticholinergique (p. ex., la paroxétine).

La littérature semble recommander le citalopram ou la sertraline (p. ex., Le Médecin du Québec, juillet 2012, p. 56). Mais voici ma question : si le patient prend déjà un autre antidépresseur comme la paroxétine avec composante anticholinergique et qu’il est stabilisé avec cela, vaut-il la peine d’en discuter avec le médecin traitant afin de ne pas contrecarrer l’effet du nouveau traitement, ici, l’inhibiteur de la cholinestérase?

Réponse : Des symptômes de dépression seraient présents chez 30 à 50 % des individus atteints de la maladie d’Alzheimer. Ceux-ci contribuent à exacerber les déficits cognitifs et à diminuer la capacité fonctionnelle globale de ces patients. La présentation clinique de la dépression chez cette population est différente de ce qui est noté chez des sujets qui ne souffrent pas de cette pathologie neurodégénérative. Par exemple, l’incidence d`amotivation et de symptômes psychotiques est plus importante. Certains considèrent que la dépression chez les patients atteints d’Alzheimer est pathophysiologiquement différente de la dépression chez les « non-Alzheimer » et qu’elle représenterait, en fait, un syndrome distinct. De nombreux experts remettent même en question l’efficience des antidépresseurs conventionnels dans le traitement de ce « sous-type » de maladie affective.

L’analyse Cochrane la plus récente ayant évalué la question du traitement de la dépression chez les patients atteints d’Alzheimer est parue en 2002. Celle-ci avait identifié six études pertinentes, mais seulement trois d’entre elles rencontraient les critères pour être incluses dans leur méta-analyse. Deux de ces trois essais évaluaient la clomipramine et l’imipramine, alors que l’autre examinait la sertraline (la fameuse étude DIADS [Depression in Alzheimer Disease Study]). Plus récemment, les résultats de DIADS-2 ont été dévoilés. Fait très intéressant, alors que la sertraline a démontré des bénéfices dans DIADS, elle n’a pas réussi à se démarquer du placebo dans DIADS-2.
Nelson et coll. ont récemment publié une revue systématique/méta-analyse d’études (n = 330 patients) ayant évalué les antidépresseurs conventionnels dans le traitement de la dépression chez les sujets atteints d’Alzheimer. Ils concluent que la littérature actuelle est très controversée et que plus de données sont nécessaires pour recommander l’utilisation à grande échelle de ces molécules dans cette indication. Malgré ce constat, plusieurs organismes, tels l’Académie américaine de neurologie et NICE (le National Institute for Health and Clinical Excellence européen), affirment que les antidépresseurs « pourraient être utiles ».

Il faut prendre note que les antidépresseurs ne sont pas seulement prescrits pour traiter les épisodes dépressifs. En effet, à titre d’exemple, ils semblent efficaces pour atténuer les BPSD (behavioral and psychological symptoms of dementia). L’étude la plus importante (n = 16; Moretti et coll.) ayant évalué la paroxétine dans le traitement des BPSD chez les sujets atteints de démence (plus précisément de démence frontotemporale dans ce cas-ci) a démontré que, sur une période allant jusqu’à 14 mois, la paroxétine atténuait l’agitation, l’agressivité, les symptômes dépressifs et était dépourvue d’effets néfastes sur le plan des fonctions cognitives. Rappelons que, d’un point de vue neurobiologique, les divers types de démence (Alzheimer, démence à corps de Lewy, démence vasculaire, etc.) ne sont pas identiques.

Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que la paroxétine peut entraîner des effets anticholinergiques modestes… tout comme la fluoxétine, le furosémide, l’hydrochlorothiazide, la digoxine, etc. Au contraire, des molécules tels l’hydroxyzine et l’oxybutinine ont des effets anticholinergiques très importants. Cliniquement, les antagonistes « modestes » auront des effets délétères sur le plan de certaines fonctions cognitives (surtout la mémoire déclarative [i.e. « autobiographique »]), alors que les antagonistes « puissants » auront des effets néfastes sur le plan de la cognition globale (attention, concentration, mémoire, etc.).

Fait très intéressant, la structure chimique de la paroxétine lui conférerait une propriété unique par rapport aux autres antidépresseurs : la capacité de réduire la formation des plaques amyloïdes !

Un autre point à considérer est qu’un épisode dépressif a des effets très néfastes en ce qui concerne les fonctions cognitives, et ce, que le patient souffre de la maladie d’Alzheimer ou non. La littérature suggère que les antidépresseurs pourraient avoir un effet protecteur contre les effets délétères de la dépression sur la cognition.

En conclusion, si mon patient est stabilisé sous paroxétine, je préfère poursuivre le traitement avec cette molécule… pas seulement pour les raisons énoncées ci-dessus, mais en considérant aussi le risque très important de sevrage avec ce médicament et la difficulté inhérente d’un « switch » de la paroxétine à un autre antidépresseur.

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