03 avril 2008

La Fibromyalgie : une mal-régulation de la douleur

La fibromyalgie est une maladie neuro-psychologique par mal-régulation vers le haut de la sensibilité à la douleur. Le diagnostic se pose sur la base du type des douleurs et de la sensibilité à une pression standardisée. Le traitement comporte trois volets : pensée, neurochimie et activités.

Les caractéristiques prémorbides
En discutant avec les patients et leur mère, on constate que plusieurs ont un sommeil déréglable depuis l’enfance. Au moment d’une infection, lors d’un stress ou d’une blessure, le sommeil se détériore, s’accompagnant alors de problèmes d’endormissement, d’éveils ou de sommeil non réparateur.

À l’enfance, on note souvent des douleurs aux membres inférieurs qui éveillent la nuit et nécessitent que l’on frotte le membre et que l’on consulte un médecin. À l’adolescence, la dysménorrhée est fréquemment handicapante et peut s’accompagner d’une lombalgie. On a souvent affaire à des points de fatigue dans le dos, des céphalées et des torticolis chez les patients. Il s’agit de personnes sensibles, empathiques, qui ont des relations étroites avec leur entourage.

Le début de la maladie
La fibromyalgie commence souvent spontanément. Elle peut aussi s’enclencher à la suite des événements de vie qui n’en sont pas la cause. Mais simplement le révélateur. C’est alors à l’occasion d’un événement de fertilité, d’un changement de rythme de vie, d’une douleur ou d’un stress psychosocial que la maladie éclôt. Le patient se fait prendre dans un des cercles vicieux que sont les malsomnies, la détresse ou le déconditionnement.

Le diagnostic

L’histoire
À l’interrogatoire, il faut retrouver une histoire de plusieurs mois de douleurs diffuses, en haut et en bas, à gauche et à droite, y compris à la colonne vertébrale. La meilleure façon de reconnaître le pattern douloureux est d’utiliser un dessin de la douleur. Le sommeil est non-réparateur, demandez aux patients quel âge il lui semble qu’il a à son réveil. Il y a une fatigue importante au repos qui s’estompe pendant l’activité. La majorité des patients sont plus sensibles que la normale aux sons, à la lumière, aux gens, mais, surtout, à la température.

L’examen physique
L’examen spécifique de la fibromyalgie comporte deux éléments. On applique, avec le pouce, une pression sur les 18 points décrits dans de nombreux articles. Les points sont tous petits, précis, stéréotypés, toujours à la même place. La réaction doit être une douleur nette, pas un inconfort. On voit souvent un retrait, un sursaut. La même pression est indolore juste à côté des points contrôles pour valider la réponse en appuyant avec la même pression sur l’olécrane, le talon, l’os pariétal ou le nez. Chez la femme, les 18 points sont généralement sensibles, quelquefois 14 points seulement (négatif aux hanches et aux genoux). Chez l’homme, on trouve plutôt 10 ou 12 points à 1000 g.

On examine ensuite la texture et la sensibilité de la peau avec la technique du pincé-roulé. On teste quatre endroits bilatéralement : la région des trapèzes, le milieu du dos, la face dorsale de l’avant-bras et le milieu de la cuisse antérieure. La peau est généralement indurée, difficile à saisir, très sensible.

Il reste maintenant à typer le profil psychiatrique. Le type I n’a pas de diagnostic psychiatrique. Le type II a un diagnostic psychiatrique ordinaire de l’axe 1, les troubles anxio-dépressifs ordinaires. Le type III a un problème psychiatrique lourd, trouble de la personnalité, somatisation importante.

Le traitement
Un mot sur les traitements inefficaces. Tous les traitements locaux qui ont été évalués se sont avérés inutiles : massages, chiropractie, injections, ostéopathie, etc. La cortisone ne change rien. Les narcotiques ne fonctionnent pas sur la maladie elle-même. Cependant, une réponse vous indique que vous agissez sur une pathologie sous-jacente qui est le signal source. Il faut alors chercher un diagnostic. Abandonner toutes les diètes particulières pour adhérer au Guide alimentaire peut être utile. L’approche thérapeutique comporte trois volets qu’il faut tous aborder. Il faut traiter la pensée, la neurochimie et l’activité.

La pensée
Dans les maladies bio-psycho-sociales comme le diabète de type 2 et la dépression, l’attitude et le comportement du patient sont déterminants pour le succès du traitement. Pour la fibromyalgie, c’est crucial.

Sur ce plan de la psychoéducation, certains éléments doivent être compris par le patient. La douleur est entièrement réelle. Le patient peut donc vivre malgré la douleur et la fatigue. Il le peut et il le doit. Certaines fausses croyances doivent être éliminées, par exemple, qu’il s’agit d’une maladie progressive, qu’il n’y a pas de traitement et qu’elle est incurable.

Sur le plan cognitif, il s’agit d’amener le patient à se rendre compte qu’il est bel et bien vrai que la douleur est exagérée et qu’elle n’est pas proportionnelle au dommage.

La neurochimie
On aborde le traitement neurochimique en fonction du type Psy.

Le traitement de départ : la base
Types I et III
On commence avec un tricyclique à dose filée, l’amitriptyline (Elavil) à raison de 10 mg deux heures avant le coucher. On ajuste la dose chaque semaine, selon la tolérance et le sommeil, pas selon la douleur. Il est préférable d’aviser le patient qu’il faut traverser une période d’adaptation avant d’obtenir un bienfait. À long terme, il faut ajuster la dose selon la saison et la situation. Les solutions de rechange sont : le Flexeril (cyclobenzapine) qui est un tricyclique très semblable à l’Elavil, qui ne devrait pas être associé à l’Elavil. La posologie est le même. La doxépine (Sinequan) présente l’avantage d’être un puissant antihistaminique, ce qui est avantageux pour les patients allergiques. La désipramine (Norpramin), la trazodone (Desyrel), l’hydroxyzine (Atarax) peuvent aussi être utiles.

Le type II
On commence avec un antidépresseur moderne à petite dose que l’on augmente lentement, jusqu’à atteindre une pleine dose thérapeutique. La venlafaxine (Effexor) et la paroxétine (Paxil) sont les premiers choix. La sertraline (Zoloft) pourrait être plus efficace en présence d’un syndrome prémenstruel. Le citalopram (Celexa) a l’avantage de s’associer plus facilement en cocktails. Il est trop tôt pour se prononcer sur la mirtazapine (Remeron). Le moclobémide (Manerix), la fluvoxamine (Luvox) et la fluoxétine (Prozac) ne semblent pas efficaces en monothérapie.

Le traitement subséquent
Une fois la base installée et ajustée sur plusieurs mois, on raffine le traitement en y ajoutant d’autres médicaments. On analyse alors les quatre ingrédients de la maladie : Sommeil, Psy, Douleur et Énergie, que l’on cote. Le sommeil est la première cible. Pour l’améliorer encore, on peut ajouter de la gabapentine (Neurontin) en dose standard TID en débutant avec 100 mg au coucher seulement. Les Z (zopiclone [Imovante], zaleplon [Starnoc] et zolpidem [Ambien]) sont prescrits pour une période de trois semaines occasionnellement. Le 1-tryptophane (Tryptan) à la dose de 750 mg, à raison d’un ou de deux comprimés au coucher, pourrait avoir une utilité. La restriction modérée du sommeil peut avoir un effet étonnant. Toutes les benzodiazépines doivent être évitées. Si le sommeil est relativement contrôlé, la deuxième cible est le Psy. On revoit son diagnostic et on ajuste le traitement. Une approche psychologique peut être utile.

Ce n’est que lorsqu’on a relativement contrôlé le sommeil et le Psy que l’on aborde directement la douleur. On a deux outils principaux pour le faire : les antidépresseurs et la gabapentine. Selon la nature du traitement en place, on ajoute d’autres molécules dans le but d’obtenir un traitement optimal.

La gabapentine est nettement plus simple d’emploi. Elle doit être ajoutée à ce qui est déjà en place. On débute avec 100 mg HS ou TID et on augmente lentement sur plusieurs semaines, jusqu’à 400 mg TID où on reste pendant un mois. On réévalue alors la charge douloureuse globale. Si l’effet est vraiment nul, on la cesse graduellement. Si elle produit un petit effet, même de 10% seulement, on continue à augmenter lentement jusqu'à plafonnement du bénéfice, intolérance ou 3600 mg dit. La plupart des patients resteront à des doses situées entre 900 et 2400 mg.

Une fois les trois premières étapes traversées, on aborde l’énergie et les activités. On a maintenant un patient qui dort, qui est moins anxieux ou dépressif et moins souffrant. Mais il est souvent fatigué, épuisé. Sur le plan neurochimique, empiriquement, on considère que le manque de résistance est plutôt dû à l’adrénaline et le manque d’activation au démarrage dépend plutôt de la dopamine. S’il s’agit surtout d’un problème de maintien de l’activité, on augmente la venlafaxine si c’est notre base à des doses de plus de 150 mg. Si l’activation psychomotrice semble dominante, on envisage alors d’ajouter du bupropion (Wellbutrin).

Les activités
Les patients qui souffrent de fibromyalgie doivent essayer de vivre normalement malgré la douleur et la fatigue.

Devenir invisible
Après avoir bien développé mon traitement et obtenu une certaine amélioration, je demande à certains patients de devenir invisibles aux yeux de la société. Ils doivent faire disparaître tous les signes extérieurs de la maladie : les grimaces, les épaules voûtées, les plaintes, les annulations d’activités. Les patients qui réussissent à devenir invisibles voient souvent leur état s’améliorer, car le poids du regard de la société sur eux fait partie du problème.

Le diagnostic et la prise en charge des patients fibromyalgiques nécessitent beaucoup de ressources de la part du médecin. En échange, les succès obtenus sont une gratification en soi.

Source : André Lalonde, md (omnipraticien, clinique médicale Duvernay)
Un supplément de L’Actualité médicale, 28 août 2002 Pages : 7 et 8


Rédigé par Julie Aumont, stagiaire

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