30 janvier 2011

Compte rendu sur l’usage à long terme des biphosphonates

Les biphosphonates (BP) devraient être arrêtés après combien d’années de Tx?

Au cours des années 2005 à 2007 est apparu un nombre grandissant de rapports de cas et de série de cas de fractures atypiques non traumatiques chez des utilisateurs chroniques de BPs. Ces fractures se produisaient à des endroits inhabituels (région sous-trochantérienne et diaphysale) du fémur, étaient parfois précédées de douleurs prodromales à l’aine et à la cuisse et comportaient des modifications radiologiques communes, i.e. un épaississement de l’os cortical et la formation de « becs » osseux. Ces fractures et les caractéristiques mentionnées précédemment se retrouvaient plus fréquemment chez les utilisateurs de BPs que chez ceux n’en faisant pas l’usage.

Ceci a poussé plusieurs membres de la communauté scientifique à compiler les données de diverses banques afin de découvrir une possible relation de cause à effet entre l’exposition aux BPs et la fréquence des fractures atypiques. Voici un résumé de certaines des conclusions obtenues;

-Une étude épidémiologique rétrospective dans l’état de New York a permis de conclure que les fractures atypiques étaient un phénomène rare (30/100000 personnes-années) et que la fréquence celles-ci était restée stable au cours des 10 dernières années. A l’opposé, le nombre de fracture toutes catégories confondues a diminué de 600/100000 à 400/100000 durant la même période.

-Une autre étude a comparé les patients admis dans un hôpital dont le diagnostic était une fracture atypique avec des patients contrôle dont le diagnostique était une fracture de la hanche. L’exposition aux BPs était plus grande dans le groupe clinique (indicateur de la protection offerte par les BPs vis-à-vis des fractures de la hanche?) et les changements radiologiques caractéristiques plus prévalents chez les utilisateurs de BPs.

-Une étude épidémiologique nationale danoise a comparé une bonne cohorte de citoyens utilisant des BPs (n=40000) à des citoyens de même âge et même sexe ne prenant pas de BPs (n=160000). Même si l’étude à démontré une prévalence significativement plus grande des fractures atypiques dans le groupe BP, la méthodologie ne permettait pas de déterminer si la cause de cette différence était l’usage de BP ou la sévérité plus grande de l’ostéoporose dans le groupe clinique. D’ailleurs, le fait que l’incidence des fractures atypiques ne changeait pas si les patients étaient exposés à de petites quantités de BP ou à des grandes appuie cette dernière hypothèse. Une autre étude Danoise (n=11944) est arrivé aux mêmes conclusions en démontrant que le % de fractures atypiques et de fractures de la hanche survenant chez les patients exposés était similaire.

La Food and Drug Administration, en octobre dernier, a demandé aux fabricants de l’alendronate et du risedronate d’ajouter un avertissement aux monographies relativement au risque de fracture atypique associé à l’usage des BP. Cet avis enjoint les médecins à réévaluer périodiquement, chez leur patient, la nécessité de poursuivre le Tx aux BPs et leur recommande la cessation dudit Tx si de la douleur à l’aine ou à la cuisse apparait.

Ostéoporose Canada, à l’origine des nouvelles lignes directrices canadienne d’octobre 2010, se rallie davantage à certaines conclusions de l’American Society for Bone and Mineral Research Subtrochanteric Femoral Fracture Task Force : elle précise que les fractures atypiques sont extrêmement rares (moins de 1% de toutes les fractures) et que le Tx aux BPs permet la prévention d’un nombre important de fractures ostéoporotiques, par ailleurs beaucoup plus fréquentes. Elle suggère, en cas d’apparition de douleur à l’aine ou à la cuisse, l’évaluation par MRI ou par tomodensitométrie de la nécessité d’arrêter le Tx aux BPs. Santé Canada a d’ailleurs émis un avis qui va dans le même sens et étudie présentement la question plus en profondeur.

Les études cliniques contre placebo ont été faites sur une période maximale de 5 ans. Une méta-analyse ayant colligé les données de trois de ces études a révélé que la prévalence des fractures atypiques étaient la même entre les deux groupes. Par contre, la puissance n’était pas suffisante pour détecter une différence significative. Le risedronate a été étudié sur une période supplémentaire de 2 ans et l’alendronate, sur une période de 5 ans, mais sans groupe comparateur. À l’arrêt de l’alendronate après un Tx de 5 années, la densité osseuse demeure stable ou diminue très lentement, et ce pour une période de 5 ans. Pour la même période, les marqueurs sériques de l’activité ostéoclastique demeurent sous les valeurs normales.

Au niveau histologique, les quelques données disponibles provenant de l’analyse de biopsie osseuse indiquent un niveau de formation d’os similaire à la normale chez les patients exposés au BPs.

Une revue rétrospective de données radiographiques atteste de la présence d’un plus grand nombre de patrons radiologiques conformes à ceux rapportés dans les études de cas chez les utilisateurs de BPs.

Conclusion

Nous n’avons donc aucune donnée sur la longueur optimale d’un Tx aux BPs. Tout au plus pouvons-nous statuer qu’un Tx de 5 ans est très efficace pour la prévention des fractures vertébrales et non vertébrales comparé à un Tx placebo et qu’il semble sécuritaire. Il existe également certaines données qu’un traitement supplémentaire de 5 ans demeure efficace. Les fractures atypiques demeurent un phénomène marginal comparé aux fractures de facture ostéoporotique. Une approche prudente serait de continuer la démarche actuelle : réévaluer périodiquement la nécessité d’un Tx aux BPs en tenant compte du risque de fracture à 10 ans (FRAX). En attendant de plus amples et complètes études sur la question, les bénéfices d’un traitement chronique aux BPs semblent dépasser largement les inconvénients. Une autre option serait d’avertir les patients d’informer un professionnel de la santé de toute apparition de douleur à l’aine et à la cuisse. L’option de faire un arrêt d’un an systématiquement après cinq ans de Tx part d’un principe théorique : cela pourrait permettre une recrudescence du remodelage osseux et la correction des défauts structurels subis sous l’influence des BPs. Pourtant, la densité osseuse demeure stable et les marqueurs d’activité osseuse restent sous les valeurs normales pendant cinq ans post-cessation. Autant cet état des faits peut rassurer sur l’improbabilité d’une perte osseuse consécutive à l’arrêt, autant elle laisse planer le doute sur l’efficacité d’une telle mesure dans la prévention des fractures atypiques. A noter que Merck-Frosst a déjà modifié sa monographie et ajouté un avis ayant trait aux fractures atypiques.


Références
1.Nieves J et Cosman F. Atypical Subtrochanteric and Femoral Shaft Fractures and Possible Association with Bisphosphonates. Current Osteop Rep 2010(8): 34-39.
2.NAMS. Management of osteoporosis in postmenopausal women: 2010 position statement of The North American Menopause Society, Menop: J NAMS 2010, vol.7(1), 25-54.
3.Papaioannou A. et coll. 2010 clinical practice guidelines for the diagnosis and management of osteoporosis in Canada: summary, document PDF consulté sur le site www.CMAJ.ca le 26 janvier 2011.
4.Osteoporose Canada. Position statement: Biphosphonates and atypical fractures. 14 cotobre 2010. Document PDF consulté sur le site www.osteoporosis.ca le 23 janvier 2010.
5.Abrahamsen B. et coll. Cumulative Alendronate Dose and the Long-Term Absolute Risk of Subtrochanteric and Diaphyseal Femur Fractures: A Register-Based National Cohort Analysis. JCEM, 2010, vol. 95(12), 5258-5265.
6.Sellmeyer D. Atypical fracture as a complication of long-term biphosphonate therapy, JAMA, 2010, vol. 304(13), 1480-1484

Rédigé par Geneviève Breton, stagiaire

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