Tiré de Interpharma.ca
La prévention du suicide en pharmacie communautaire
Un de vos patients qui est traité depuis quelques mois pour une dépression vient à votre pharmacie pour chercher sa prescription d’antidépresseurs. Vous remarquez qu’il ne semble pas du tout en forme. Il vous confie d’ailleurs que rien ne va plus, qu’il trouve inutile de prendre sa médication puisqu’il ne voit pas ce que ça lui apporte. De plus, il termine en mentionnant qu’il va bientôt débarrasser le plancher et que ça va régler le problème.
Des situations comme celle-là, peut-être vous en est-il déjà arrivées et il vous en arrivera certainement au cours de votre pratique puisqu’en tant que pharmacien, vous établissez et entretenez un lien de confiance avec vos patients. Vous êtes donc en première ligne de la prévention du suicide et prenez part à ce filet humain qui permet de resserrer les mailles et de garder parmi nous les plus vulnérables.
Au Québec, chaque jour, 3 Québécois s'enlèvent la vie. De ces suicides, tout près de 80% sont commis par des hommes. En 2009, ce sont 1068 personnes qui sont décédées pas suicide sans compter ceux qui ont fait des tentatives. Bien que depuis 10 ans, le taux de suicide au Québec ait diminué de 34%, le suicide reste une problématique importante dans la prévention de laquelle nous avons tous un rôle à jouer, chacun à notre mesure.
Comme disait le pharmacien Philippe Vincent : « Apprendre à prévenir le suicide, c’est comme apprendre le RCR : on espère ne jamais en avoir besoin, mais ça peut sauver des vies. » Effectivement, il est normal de se sentir impuissant, démuni, voire même effrayé devant les propos d’une personne suicidaire. Ces sentiments nous habitent davantage lorsque nous n’avons pas les outils pour y faire face.
Que faire?
Que faire lorsqu’une personne nous lance des messages directs ou indirects de suicide ? Lorsqu’un patient nous appelle en tentative de suicide ou semble user de manipulation afin qu’on lui donne la médication nécessaire pour accomplir son plan suicidaire ?
Prenons d’abord la situation présentée en introduction. Un patient vous dit qu’il va bientôt débarrasser le plancher, que rien ne va plus, etc. La première chose à faire lorsqu’un de vos patients vous confie un tel message est de l’amener dans un lieu discret. La personne aidée se sentira ainsi moins seule : quelqu’un l’écoute dans un contexte où la discrétion est de mise afin de respecter les confidences et de conserver l’anonymat. Pour ce faire, vous pourriez tout simplement dire: « Je m’inquiète pour vous. Allons dans le bureau, nous serons plus tranquilles et je pourrai mieux vous aider. »
Évidemment, lorsqu’une personne nous lance un message indirect comme celui-ci, il est important d’aller rapidement vérifier ce que la personne voulait dire exactement: « Que voulez-vous dire quand vous me dites que vous allez débarrasser le plancher bientôt ? Est-ce que vous pensez au suicide ? »
Il faut aborder la question du suicide directement en utilisant les termes exacts (suicide, vouloir se tuer, en finir avec la vie, etc.). Poser la question directement ne pourra en aucun cas donner l’idée à quelqu’un de le faire. Bien au contraire, lorsqu’une personne lui pose enfin la question, c’est une porte qu’on lui ouvre, c’est l’accueil de sa détresse dans laquelle elle se sent seule, isolée et anormale. De plus, poser la question, ce n’est pas être intrusif, c’est vouloir venir en aide à une personne qui nous semble dans le besoin. La santé mentale nous amène à avoir parfois un comportement particulier, puisque quand nous y sommes confrontés, quand nous voyons dans un lieu public ou même dans notre propre réseau une personne en détresse, nous sommes souvent moins à l’aise de nous impliquer, de nous mêler de la situation. Par contre, si nous voyons une dame tomber dans la rue et se blesser une jambe, rapidement nous lui porterons secours, sans hésiter et sans peur qu’elle en soit froissée. Une personne suicidaire ou en détresse, lors des moments de crise, c’est en quelque sorte cette dame à la jambe blessée. Elle a besoin elle aussi, que quelqu’un lui porte secours.
Le COQ
Prenez le temps d’évaluer sommairement la situation : « Que se passe-t-il en ce moment ? Est-il arrivé quelque chose de particulier qui puisse vous mettre dans cet état? » S’il vous répond qu’effectivement il pense au suicide, il faut alors aller évaluer l’urgence de la situation, soit la planification suicidaire. C’est à partir du COQ (Comment, Où, Quand) que cela peut se faire efficacement. Il faut alors échanger avec le patient afin de pouvoir recueillir les informations essentielles :
• Est-ce que vous avez un plan précis ?
• Quel est votre plan ?
• Y pensez-vous au point de savoir comment, où et quand vous le feriez ?
• Avez-vous pensé à un lieu et une date ?
• Avez-vous accès à votre moyen ?
Facultés affaiblies
Rappelons-nous qu’un individu qui pense au suicide ne veut pas mourir, il veut arrêter de souffrir. Son désespoir est si grand que cela embrouille la perception qu’il a de sa situation. Il voit donc de moins en moins les solutions possibles qui l’entourent, comme s’il avait le nez rivé sur le mur et que ce n’était que la seule chose qu’il pouvait désormais voir. Nous faisons souvent le parallèle entre une personne suicidaire et une personne en état d’ébriété. Tout comme la personne qui a trop bu, la personne en détresse a les facultés affaiblies. Son jugement est altéré et elle n’est pas en état de prendre des décisions déterminantes, tout comme la personne en état d’ébriété n’est pas en mesure de conduire sa voiture. De nos jours, on ne laisse plus un individu ivre prendre sa voiture. Il devrait en être de même pour une personne suicidaire. Elle a besoin que quelqu’un l’aide à prendre du recul pour voir les solutions qui sont disponibles pour elle. C’est ce que vous ferez en ouvrant avec elle sur ses idées suicidaires ; vous lui enlèverez en quelque sorte ses clés et pourrez assurer sa sécurité.
Donc si selon les éléments du COQ, le suicide est prévu dans plus de 48 heures, il vous dirait par exemple qu’il y pense souvent, qu’il sait comment il le ferait , mais ne saurait pas quand exactement. Il n’y aurait donc pas d’urgence dans l’immédiat. Il faudrait toutefois s’assurer de trouver une ressource pour prendre le relais et lui offrir l’intervention nécessaire. Entre autres, vous pourriez voir avec cette personne quelle solution elle a déjà essayée. Est-ce qu’il y a un psychologue, un médecin avec qui elle en a déjà parlé ? Y a-t-il un proche en qui elle a confiance que vous pourriez contacter ensemble afin qu’elle puisse ne pas être seule ? Et, au Québec nous avons la chance d’avoir une ligne d’intervention en prévention du suicide disponible 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Peu importe où l’on se trouve au Québec, en composant le 1 866 APPELLE (277-3553), un intervenant sera là pour nous accueillir dans le plus grand des respects, en toute confidentialité, qu’on soit un suicidaire, un proche d’une personne en détresse, un endeuillé à la suite d’un suicide ou un professionnel, tel un pharmacien. Invitez donc votre patient à appeler le 1 866 APPELLE pour une intervention ou pour faire part de ses préoccupations. Vous pourriez même téléphoner ensemble. L’intervenant pourrait vous accompagner et bien vous orienter afin d’aider votre patient. Ce dernier pourrait même à un certain moment prendre le téléphone et discuter lui-même avec l’intervenant qui prendra le relais, procédera à une évaluation plus complète du potentiel suicidaire (vulnérabilité, planification suicidaire et dangerosité), ce qui lui permettra de déterminer les priorités et les stratégies à adopter.
Si le COQ est complet et/ou si le Quand est dans moins de 48 heures, veillez à réduire l’accès aux moyens. Accompagnez ou faites accompagner la personne à l’hôpital. Si possible, il est fortement recommandé d’impliquer les proches de l’individu. Durant l’entretien ou en cas d’incertitude, appelez ou demandez à la personne d’appeler le 1 866 APPELLE directement de votre bureau de consultation.
Appel d'une personne en tentative de suicide
Si vous recevez un appel d’une personne en tentative de suicide, restez calme, valorisez le fait qu’elle fasse appel à vous. C’est la partie d’elle qui veut vivre qui s’exprime. D’ailleurs, sachez que toute personne suicidaire est ambivalente jusqu’à la toute fin. Comme elle ne veut pas mourir mais juste arrêter de souffrir, elle se bat constamment entre le côté qui penche vers la mort et celui qui veut rester en vie. Valoriser son appel et reconnaître son grand désespoir vous permettront d’avoir accès à son ambivalence de vie et d’obtenir sa collaboration.
Par la suite, veillez à rapidement prendre son nom et son numéro de téléphone au cas où la personne raccrocherait ou que la ligne venait à couper. Cela vous permettra de plus de pouvoir donner les coordonnées précises aux services de secours. Idéalement, il est souhaité que vous puissiez demeurer en ligne avec l’individu afin de vous assurer de sa sécurité et de l’empêcher de poursuivre son geste suicidaire. Vous pourriez alors demander à un collègue de téléphoner pour vous au 911, en lui écrivant sur un papier les informations nécessaires : nom de la personne, numéro de téléphone, adresse si vous l’avez, geste posé, médication prise et tout autre détail que vous pourriez détenir. Si vous êtes seul, vous pourriez demander à la personne en tentative de vous attendre quelques minutes, lui expliquer que vous allez appeler les secours pour elle et que rapidement vous serez de retour avec elle. Notez que selon votre code de déontologie, les articles 68 et 69 vous permettent de divulguer toutes informations confidentielles dans des situations exceptionnelles, comme la tentative de suicide. Il est autorisé d’appeler une ambulance ou les policiers si le suicide d’un individu est dans l’immédiat.
Si vous êtes toujours en ligne lorsque les secours arrivent sur les lieux, vous pouvez demander à parler au policier ou à l’ambulancier, afin de pouvoir fournir les informations nécessaires aux bons soins de la personne. Cela vous permettra de savoir où sera amené votre patient.
Advenant le cas où votre patient en tentative raccrocherait durant l’appel et que vous n’auriez pas eu le temps de prendre son nom et ses coordonnées, sachez qu’il existe une procédure afin de pouvoir faciliter le retraçage d’appel pour les policiers :
• Lorsque le patient raccroche la ligne, empressez-vous de raccrocher également cette ligne et de la reprendre aussitôt (pour éviter qu’un autre appel n’entre sur cette même ligne) et composez *57. Vous pouvez ensuite raccrocher.
• Ensuite, téléphonez au 911, indiquez la situation ainsi que la procédure que vous venez de faire afin qu’ils puissent retracer l’appel.
Voici quelques pistes pouvant vous guider dans différentes situations. Il peut y en avoir bien d’autres. De plus, votre contexte de travail, la collaboration du patient et la situation en tant que telle peuvent influencer et rendre difficiles certaines actions proposées. C’est pourquoi, il ne faut pas agir seul.
Faire de telles démarches, venir en aide à une personne avec des idées suicidaires, c’est déstabilisant. Il ne faut pas oublier que nous sommes humains et que nous sommes, nous aussi, par moment plus vulnérables. Il est donc recommandé qu’après une intervention de ce genre, vous puissiez parler à un intervenant en prévention du suicide (1 866 APPELLE (277-3553)) afin de valider vos actions, de ventiler tout simplement et de voir avec ce dernier si d’autres actions pourraient être effectuées dans les jours à venir. Respecter ses propres limites est donc le mot d’ordre lors d’une situation suicidaire.
Le suicide est un phénomène complexe et multidimensionnel qui dépend de plusieurs facteurs. Bien que 90 % des personnes qui s’enlèvent la vie souffrent d’une maladie mentale, il ne faut pas perdre de vue que personne n’est à l’abri et que vous avez, dans vos pharmacies, une diversité de clientèle vivant des pertes de santé importantes pouvant lui faire vivre un deuil et même un état dépressif. Votre grande vigilance à l’égard des signes précurseurs du suicide mais également des anomalies dans leur prise de médication, votre travail en multidisciplinarité qui met le patient au centre de vos préoccupations et le précieux lien de confiance que vous entretenez avec lui font de vous, pharmaciens et pharmaciennes, des acteurs indispensables pour la prévention du suicide. Merci d’être là… pour la vie !
Pour toute information ou demande de formation, veuillez nous contacter à l’Association québécoise de prévention du suicide au 418 614-5909 poste 29.
Références :
• La prévention du suicide en pharmacie communautaire, dépliant de Philippe Vincent B.Pharm., M.SC. et Alessandra Stortini, Pharm.D en collaboration avec l’Association québécoise de prévention du suicide.
• La mortalité par suicide au Québec :données récentes de 2005 à 2009, Gagné, Légaré, Perron et St-Laurent, Institut national de santé publique du Québec, 2011
• Agir en sentinelle pour la prévention du suicide, Cahier du participant, Association québécoise de prévention du suicide, 2008.
18 mai 2012
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Publier un commentaire